Dans le cadre de la lutte contre le changement climatique, les secteurs de la production d’électricité et du transport sont appelés à évoluer. D’un côté, les énergies renouvelables (EnR) telles que l’énergie éolienne et photovoltaïque (PV) seront déployées massivement avec l’objectif de réduire la production d’électricité provenant des énergies fossiles très polluantes comme le gaz ou le charbon. L’intégration de ces EnR dans le mix énergétique représente un grand défi de flexibilité pour le réseau du fait qu’elles sont intermittentes, dépendantes de la météorologie. D’un autre côté, la flotte de voitures particulières suivra également une transformation. Les voitures avec moteur à combustion interne sortiront du marché dans les prochaines décennies et laisseront la place aux voitures à énergies alternatives. De ce fait, des millions de véhicules électriques (VE) seront rechargés sur le réseau en augmentant la demande d’électricité de façon significative. Le Vehicle Grid Integration (VGI) est le point d’intersection entre ces deux problématiques, qui se transforme en solution et qui est le cœur de la thèse. Le VGI fait référence à l’ensemble des technologies, des services et des politiques qui créent un lien entre les systèmes de transport et d’électricité. Cette intégration ajoute de la valeur aux réseaux électriques et aux véhicules eux-mêmes.

À travers la modélisation et la simulation, on a analysé cette valeur autour de trois axes : d’abord, le processus optimal de charge et de décharge des VE, ceci en prenant en compte le progrès technique (batteries, algorithmes de VGI, capacité de communication des VE, etc.). Ensuite, les services de VGI dans le cadre d’un système local, dans un réseau intelligent intégrant des moyens de production renouvelables et finalement, les services de VGI dans le cadre d’un système national, en fonction des prix du marché de gros.

On a développé un algorithme de charge intelligente qui a été implémenté de deux façons : dans un simulateur qui permet de recréer le comportement de charge d’une flotte de plusieurs millions de VE et à travers l’implémentation de l’algorithme dans une voiture réelle qui reçoit les commandes de charge à travers une communication établie avec le serveur d’un constructeur automobile. On a pris en compte différentes échelles de temps (pour considérer que la demande d’électricité n’est pas la même en hiver qu’en été, ou en semaine qu’en weekend), aussi bien que les comportements des automobilistes des VE et le taux d’EnR dans le mix énergétique, entre autres. Le résultat est un outil puissant pour comprendre les principaux défis de la mobilité électrique et on pense qu’il pourrait être utile à plusieurs parties prenantes : opérateurs de réseau, gouvernements, constructeurs automobiles et universitaires. Par exemple, grâce à la simulation, il est possible d’estimer l’impact de différentes proportions de puissance des chargeurs (s’il y a plus de chargeurs à 3, 7 ou 11 kW), l’impact de l’utilisation ou non des VE comme transport de travail ou de la préparation d’un long trajet pour un jour de la semaine.

Dans le cadre du système local, le principal résultat est que grâce à l’installation d’un système de stockage provenant des VE, il est possible d’atteindre un mix énergétique 100 % renouvelable. On a souligné que le coût total de production d’électricité a une forme en U lorsque l’on considère une part croissante de VE. D’après les différents scénarios analysés, le stockage des VE privilégie les investissements PV au détriment des investissements éoliens, diminue ensuite l’exigence d’utilisation d’un biocarburant et enfin diminue le prix de l’électricité par rapport à un scénario sans installation de stockage de 4 centimes d’euro par kilowattheure. Cela représente près de 400 € par VE par an.

Finalement, on a analysé l’impact économique du VGI dans le cadre d’un système national à travers la simulation du marché d’électricité day-ahead dans un scénario où la charge de VE sur le réseau sera suffisamment importante pour impacter ces prix. Les résultats obtenus permettent de confirmer l’intérêt de relier les VE particuliers au réseau électrique via un système intelligent pour répondre aux exigences de flexibilité émergentes. La charge optimale d’une flotte de VE pourrait réduire les pics de demande qui conduisent le système à des situations stressantes : de ce fait, un algorithme de VGI permet de limiter la volatilité apportée par l’intégration des EnR et par conséquent, améliore l’adéquation et la fiabilité du système, ce qui pourrait augmenter le surplus du producteur du secteur de l’électricité. Le VGI limite le risque d’investissement dans le secteur de l’électricité en réduisant la volatilité des prix.

Laboratoire d’accueil

Cette thèse Cifre a été réalisée entre l’Université Paris Dauphine, l’IFP Energies Nouvelles et le groupe Renault. Maria Juliana Suarez Forero était attachée au Laboratoire d’Économie de Dauphine (LEDa) et plus spécifiquement à la Chaire European Electricity Markets (CEEM). La CEEM travaille sur les sujets de libéralisation, intégration des marchés et régulation, investissement et concurrence, réseaux intelligents et gestion de la demande dans le domaine électrique. Cette recherche est divisée en trois axes : la formation des prix sur les marchés européens de l’électricité, l’organisation, le changement structurel et la régulation des marchés électriques en Europe et le transport, la distribution, les réseaux intelligents, le stockage et la gestion de la demande d’électricité. Le directeur scientifique de la CEEM est Fabien Roques et le directeur du LEDa est Philippe De Vreyer.

Plus d’informations : http://www.ceem-dauphine.org/home/fr/ et https://leda.dauphine.fr/.

Soutenance de la thèse

La thèse a été soutenue le 12 décembre 2022 à l’Université Paris Dauphine devant un jury composé de : Anna Creti, professeur à l’Université de Paris Dauphine (présidente) ; Yannick Perez, professeur à CentraleSupélec (rapporteur) ; Maria-Eugénia Sanin, maître de conférences, HDR, Université d’Évry-Université de Paris Saclay (rapporteur) ; Patrice Geoffron, professeur à l’Université Paris Dauphine (directeur) et Frédéric Lantz, professeur à IFP-School (co-directeur).

Le manuscrit est disponible dans son intégralité sur : https://www.theses.fr/2022UPSLD041.

Et après la thèse ?

Maria Juliana Suarez Forero travaille actuellement comme ingénieur R&D et data scientist chez Airthium, une start-up qui a pour objectif de décarboner la chaleur industrielle. Elle travaille sur le modèle économique de l’entreprise en étudiant de près les prix de l’électricité, du gaz et du CO2.

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