Le Maroc se distingue en tant que l’un des pays investissant le plus dans les technologies énergétiques renouvelables, notamment le solaire à concentration (CSP : Concentrated Solar Power) et le photovoltaïque (PV : Photovoltaic), aussi bien avec qu’en l’absence de stockage d’énergie thermique (TES : Thermal Energy Storage) et par batterie (BES  : Battery Energy Storage), ainsi que dans l’éolien terrestre. Actuellement, les sources d’énergie renouvelable couvrent 34 % de la production électrique totale du Maroc. Le pays s’est fixé pour objectif d’augmenter cette part à 52 % d’ici 2030. Ce plan ambitieux prévoit une répartition spécifique : 20 % d’énergie éolienne, 20 % d’énergie solaire PV et CSP, et 12 % d’énergie hydroélectrique.

En revanche, la stratégie énergétique marocaine ne se limite qu’à la capacité solaire installée globale, sans spécifier explicitement la proportion optimale entre le PV et le CSP. Ces deux technologies exploitent des ressources distinctes, ce qui les rend sensibles différemment aux nuages et aux fortes températures. De plus, elles présentent une variabilité intrajournalière et saisonnière distincte de celle de l’énergie éolienne, dont la production est uniformément répartie tout au long de la journée et de l’année.

De plus, le plan ne précise pas clairement comment les batteries seront intégrées aux installations PV connectées au réseau, ni la quantité de stockage associée au PV. Il en va de même pour la quantité de stockage thermique associée au CSP. En effet, la production du PV dépend de l’irradiation solaire disponible dans la journée et sa production est souvent en corrélation négative avec la demande estivale, en raison de la sensibilité des panneaux aux températures (en l’absence de stockage et de suivi solaire). Le CSP présente des avantages, tels que ses performances à hautes températures et l’utilisation du suivi solaire, ce qui le rend positivement corrélé avec la pointe de la demande en été. Cette corrélation est importante étant donné la forte demande en climatisation pendant les périodes chaudes. Cependant, plus les installations PV et CSP augmentent en taille par rapport à la capacité nominale requise, plus il est nécessaire d’ajouter des capacités de stockage pour gérer les excédents de production en journée, qui seront utilisés le soir pour étendre la production après le coucher du soleil, afin de répondre à la demande en début de soirée ou de maintenir la production jusqu’au lendemain. Toutefois, cela entraîne des coûts supplémentaires. Bien que le CSP soit une technologie coûteuse, il est généralement associé à des systèmes de stockage thermique moins onéreux. Le PV, quant à lui, est moins coûteux, mais son association avec des systèmes de stockage par batterie aux coûts prohibitifs limite actuellement son utilisation à grande échelle, le confinant aux systèmes hors réseau pour l’électrification rurale. Ainsi, se pose la question : quelle technologie privilégier et dans quelle région serait-il optimal de la déployer ?

De plus, dans l’élaboration du mix électrique marocain actuel ou futur, la stratégie ne précise pas si les corrélations entre les technologies et les régions doivent être prises en compte. Il n’est pas clair si l’analyse doit se concentrer uniquement sur les corrélations entre les technologies au sein d’une même région, ou si elle doit considérer uniquement les complémentarités spatiales d’une technologie spécifique, voire même si toutes les complémentarités doivent être ignorées. Comment l’intégration du CSP et du stockage (à la fois thermique et par batterie) pourrait-elle potentiellement affecter les avantages liés à ces complémentarités ?

Ma thèse apporte des réponses à ces questions en analysant une série de scénarios prospectifs de combinaisons énergétiques. Ces scénarios englobent diverses hypothèses de pénétration des énergies renouvelables, et par conséquent, différents niveaux de risque d’inadéquation entre la production et la demande. Les configurations de stockage thermique et par batterie, ainsi que les synergies entre les différentes technologies, sont également explorées. Cette étude prend en compte non seulement le climat actuel, mais aussi le climat futur caractérisé par les effets du dérèglement climatique.

Plus spécifiquement, ma thèse propose un ensemble de réponses plausibles à diverses questions sous différents scénarios de pénétration. Tout d’abord, se pose le dilemme entre les sources intermittentes et variables, comme le PV et l’éolien, qui sont moins coûteuses, et les sources dispatchables, telles que le CSP avec le stockage d’énergie thermique (CSP-TES) et le PV avec le stockage par batterie (PV-BES), qui permettent une production continue mais nécessitent des investissements et des coûts d’exploitation plus élevés. La question se pose également entre les sources variables, incluant l’éolien, le CSP et le PV sans stockage, ainsi qu’entre les sources dispatchables, surtout lorsque ces technologies sont combinées dans le mix avec divers niveaux de stockage. Par exemple, dans le cas d’un dimensionnement de stockage identique, quel est l’impact comparatif entre le CSP-TES et le PV-BES pour remplacer la production conventionnelle et atténuer les contraintes associées à une pénétration renouvelable croissante ? Il est pertinent de se demander s’il ne serait pas plus judicieux de privilégier les technologies à moindre coût et de gérer leur variabilité en les répartissant géographiquement ou en tirant parti de leurs complémentarités temporelles, plutôt que de persévérer dans les investissements de systèmes de stockage associés au PV et au CSP, qui ne sont pas encore largement déployés à l’échelle du réseau. De plus, les technologies renouvelables sont souvent vantées pour leur contribution à une offre énergétique à faible émission de carbone. Bien que cela soit un atout majeur, il faut garder à l’esprit que ces technologies à faibles émissions sont elles-mêmes vulnérables aux effets du changement climatique, en raison de leur forte dépendance aux conditions climatiques. Cette vulnérabilité soulève la question : les mix énergétiques optimaux au Maroc sont-ils plus sensibles au changement climatique ou aux coûts ? En outre, les projections climatiques ne sont disponibles qu’à l’échelle journalière, ce qui conduit à se demander si l’ignorance des fluctuations intrajournalières de température, d’irradiation et de vitesse du vent a un impact substantiel sur les mix énergétiques optimaux. Quelles technologies sont sensibles ou résilientes face au changement climatique ? Le stockage thermique confère-t-il une résilience au CSP face au changement climatique ? Quelles conditions sont requises pour développer des mix énergétiques renouvelables résilients au climat ? Quelles sont les principales sources d’incertitudes concernant les futurs mix énergétiques renouvelables ? Enfin, comment le changement climatique influe-t-il sur la répartition géographique des capacités énergétiques renouvelables ?

Les deux premières études de ma thèse répondent aux questions relatives à l’intégration à grande échelle des technologies éoliennes, CSP/CSP-TES (solaire à concentration avec stockage thermique) et PV/PV-BES (photovoltaïque avec stockage par batterie). Elles identifient les conditions dans lesquelles les avantages d’une technologie surpassent ceux d’une autre, permettant ainsi son inclusion dans le mix énergétique jusqu’à ce qu’une condition plus favorable en empêche l’intégration. Cette évaluation prend en compte diverses quantités de stockage, les coûts associés aux technologies de production et de stockage, ainsi que l’influence des complémentarités spatio-temporelles. Enfin, la troisième étude analyse l’impact du changement climatique sur les ressources énergétiques, en mettant en évidence ses répercussions sur les facteurs de charge, la consommation et la composition du mix électrique d’ici la fin du XXIe siècle, par rapport aux tendances historiques observées.

Laboratoire d’accueil

Cette thèse a été réalisée au sein de l’école doctorale Institut Polytechnique de Paris (IP Paris, https://www.ip-paris.fr/), en collaboration avec l’École Polytechnique (établissement opérateur d’inscription, https://www.polytechnique.edu/) et le Laboratoire de Météorologie Dynamique (LMD, https://www.lmd.ipsl.fr/), dans le cadre de la création du centre interdisciplinaire Energy4Climate (E4C) de IP Paris et de l’École des Ponts, soutenu par un contrat de recherche avec Med-Ocean (financeur de la thèse). Le LMD est un laboratoire de recherche public français, établi en 1968 sous l’impulsion du professeur Pierre Morel. Il fait partie du CNRS (Unité Mixte de Recherche 8539) et il est présent sur trois campus universitaires : à l’École Polytechnique à Palaiseau, à l’École Normale Supérieure (ENS) de Paris et à Sorbonne Université à Paris. Intégré à l’Institut Pierre-Simon Laplace (IPSL), une fédération de neuf laboratoires publics de recherche en sciences de l’environnement en Île-de-France, le LMD regroupe des chercheurs, ingénieurs, techniciens, informaticiens et personnels administratifs. Son domaine d’expertise se concentre sur l’étude du climat, en associant des approches théoriques, des développements instrumentaux pour l’observation (comme le SIRTA de l’École Polytechnique) et des modélisations numériques.

Soutenance de la thèse

La thèse intitulée « Scénarios d’intégration de l’énergie solaire à grande échelle avec l’éolien au Maroc : impact de stockage, coût, complémentarité spatio-temporelle et changement climatique » a été soutenue le 20 octobre 2021, à l’École Polytechnique. La soutenance a eu lieu devant un jury composé de huit membres : Riwal Plougonven, professeur à l’École Polytechnique, LMD (président) ; Philippe Quirion, directeur de recherche CNRS, CIRED (rapporteur) ; Olivier Boucher, directeur de recherche CNRS, IPSL (rapporteur) ; Anna Creti, professeur à Paris Dauphine, Chaire Économie du Climat (examinatrice) ; Mohamed Rhaihat, chef de projet à OCP, UM6P, représentant du financeur Med-Ocean (examinateur) ; Hiba Omrani, ingénieure-chercheure à EDF (examinatrice) ; Philippe Drobinski, directeur de recherche CNRS, LMD (directeur de thèse) ; Alexis Tantet, professeur assistant à l’École Polytechnique, LMD (co-encadrant).

La thèse est disponible ici : https://www.theses.fr/2021IPPAX083. Deux articles de recherche issus de ce travail ont été publiés dans des revues à comité de lecture : ‘‘Adequacy of Renewable Energy Mixes with Concentrated Solar Power and Photovoltaic in Morocco: Impact of Thermal Storage and Cost’’ et ‘‘Utility-Scale PV-Battery versus CSP-Thermal Storage in Morocco: Storage and Cost Effect under Penetration Scenarios’’. Ces articles ont été publiés dans le journal Energies de la revue MDPI. De plus, la troisième étude de la thèse (DOI : 10.5281/zenodo.7594129) ainsi que le développement technique (DOI : 10.5281/zenodo.7594188) ont été publiés sous forme de chapitres de thèse.

Et après la thèse ?

Après sa soutenance de thèse, Ayat-Allah Bouramdane a occupé le poste de chercheure postdoctorale et cheffe de groupe en modélisation au sein d’une plate-forme de recherche dédiée à l’énergie solaire. Actuellement, elle occupe le poste de professeure assistante au Collège d’Ingénierie et d’Architecture, au Laboratoire des Énergies Renouvelables et Matériaux Avancés (LERMA) de l’Université Internationale de Rabat (UIR). Son travail de recherche se concentre sur trois axes complémentaires : les énergies renouvelables, la flexibilité énergétique avec un accent particulier sur le stockage, ainsi que les enjeux liés au changement climatique. Pour en savoir plus sur son parcours et ses publications : https://sites.google.com/view/ayat-allahbouramdane.

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